Malgré moi vis, et en vivant je meurs
Malgré moi vis, et en vivant je meurs ;
De jour en jour s'augmentent mes douleurs,
Tant qu'en mourant trop longue m'est la vie.
Le mourir crains et le mourir m'est vie :
Ainsi repose en peines et douleurs !
Fortune m'est trop douce en ses rigueurs,
Et rigoureuse en ses feintes douceurs,
En se montrant gracieuse ennemie
Malgré moi.
Je suis heureux au fond de mes malheurs,
Et malheureux au plus grand de mes heurs ;
Être ne peut ma pensée assouvie,
Fors qu'à rebours de ce que j'ai envie :
Faisant plaisir de larmes et de pleurs
Malgré moi.

Plus j'ai de bien, plus ma douleur augmente
Plus j'ai de bien, plus ma douleur augmente ;
Plus j'ai d'honneur et moins je me contente ;
Car un reçu m'en fait cent désirer.
Quand riens je n'ai, de riens ne me lamente,
Mais ayant tout, la crainte me tourmente,
Ou de le perdre ou bien de l'empirer.
Las ! je dois bien mon malheur soupirer,
Vu que d'avoir un bien je meurs d'envie,
Qui est ma mort, et je l'estime vie.

Triste penser, en prison trop obscure
Triste penser, en prison trop obscure,
L'honneur, le soin, le devoir et la cure
Que je soutiens des malheureux soudards,
Devant mes yeux desquels j'ai la figure,
Qui par raison et aussi par nature
Devaient mourir entre piques et dards,
Plutôt que voir fuir leurs étendards,
Quand de te voir j'ai perdu l'espérance.
Me font perdre de raison l'attrempance*.
Toujours Amour par fermeté procure
Qu'à désespoir point ne fasse ouverture ;
Mais tous malheurs viennent de tant de parts
Qu'ils me rendent indigne créature,
Tant que d'erreur à mon chef fais ceinture.
Ces yeux baignés vers toi font les regards,
Ne faisant plus contre ennui les remparts ;
Si n'est avoir ton nom en révérence,
Quand de te voir j'ai perdu l'espérance.
Mais je ne sais pourquoi tourna l'augure
En mal sur moi : car ma progéniture
Eut tant de bien, qu'en tous lieux fut épars.
Plaisir pour deuil était lors leur vêture ;
Plaisante et douce y semblait nourriture
De leurs sujets gardant brebis ès parcs,
Toujours battirent lions et léopards ;
Mais j'ai grand'peur n'avoir tel heur en France,
Quand de te voir j'ai perdu l'espérance.
Oh ! grande Amour, éternel, sans rompture**,
Dont l'infini est juste la mesure,
Dis-moi, perdrai-je à jamais ta présence ?
Donc, brief verras sur moi la sépulture :
L'esprit à toi, pour le corps pourriture,
Quand de te voir j'ai perdu l'espérance.
Étant seulet auprès d'une fenêtre
Étant seulet auprès d'une fenêtre,
Par un matin comme le jour poignait,
Je regardais Aurore à main senestre
Qui à Phébus le chemin enseignait.
Et, d'autre part, ma mie qui peignait
Son chef doré ; et vis ses luisants yeux,
Dont me jeta un trait si gracieux
Qu'à haute voix je fus contraint de dire :
" Dieux immortels, rentrez dedans vos cieux,
Car la beauté de Ceste vous empire. "
Comme Phébé quand ce bas lieu terrestre
Par sa clarté la nuit illuminait,
Toute lueur demeurait en séquestre,
Car sa splendeur toutes autres minait ;
Ainsi ma dame en son regard tenait
Tout obscurci le soleil radieux,
Dont, de dépit, lui triste et odieux
Sur les humains lors ne daigna plus luire,
Pourquoi lui dis : " Vous faites pour le mieux,
Car la beauté de Ceste vous empire. "
Ô que de joie en mon coeur sentis naître,
Quand j'aperçus que Phébus retournait,
Déjà craignant qu'amoureux voulût être,
De la douceur qui mon coeur détenait.
Avais-je tort ? Non, car s'il y venait
Quelque mortel, j'en serais soucieux ;
Devais-je pas doncques craindre les Dieux,
Et d'espérer, pour fuir un tel martyre,
En leur criant : " Retournez en vos cieux,
Car la beauté de Ceste vous empire ? "
Coeur qui bien aime a désir curieux
D'étranger ceux qu'il pense être envieux
De son amour, et qu'il doute lui nuire,
Pourquoi j'ai dit aux Dieux très glorieux :
" Que la beauté de Ceste vous empire ! "

Ô triste départir
Ô triste départir,
De moi tant regretté !
Deuil ne sera ôté,
Qui mon coeur fait partir :
J'entends jusques au revoir,
Si de moi tant désiré,
Car quelque part que serai,
Toujours ferai mon devoir.
Celle qui fut de beauté si louable
Celle qui fut de beauté si louable
Que pour sa garde elle avait une armée,
A autre plus qu'à vous ne fut semblable
Ni de Pâris, son ami, mieux aimée,
Que de chacun vous êtes estimée ;
Mais il y a différence d'un point
Car à bon droit elle a été blâmée
De trop aimer et vous de n'aimer point.